L’influence des peuples de la mer : aux origines du négoce viticole

Avant d’être une appellation réputée, le vignoble du Val d’Arenc et de Bandol vibrait déjà au rythme du commerce méditerranéen. Si l’on fouille amoureusement le sol, on découvre dans la garrigue des tessons d’amphores massaliètes et campaniennes : singuliers vestiges d’une histoire commerçante qui remonte à l’Antiquité.

Les Phocéens, installés à Massalia (actuelle Marseille) dès le VIe siècle avant notre ère, apportent avec eux la vigne et perfectionnent l’art du transport du vin : partout sur la côte, les vins locaux voyagent en amphores pour approvisionner comptoirs et colonies. Le port naturel de Bandol, abrité du Mistral, devient une escale précieuse pour ces caboteurs antiques. Selon l’archéologue Dominique Garcia (CNRS), des amphores bandolaises remontent à la période gréco-romaine, témoignant d’un commerce précoce entre Ligures, Grecs et Romains.

  • VIe – Ier siècle av. J.-C. : Introduction de la vigne et premiers échanges par cabotage
  • Découverte d’amphores à pâte claire typiques du commerce vinicole méditerranéen
  • Les Romains installent des villas viticoles dans la vallée d’Arenc et sur les hauteurs d’Evenos (vestiges retrouvés à la villa de La Courtine)

Entre seigneurs, abbayes et ports : la structuration d’un terroir marchand (XIIe–XVIIIe siècles)

Avec le Moyen Âge, Bandol n’est encore qu’un modeste hameau contrôlé par la puissante abbaye de Saint-Victor de Marseille. C’est le temps des moines bâtisseurs, des drailles muletières et de la protection seigneuriale. Pourtant, l’empreinte marchande du vin se renforce : il devient un moteur économique, certes modeste mais essentiel à la vie du Val d’Arenc.

  • Au XIIIe siècle, les archives de Saint-Victor mentionnent la livraison de “clapas de vin” en paiement des redevances seigneuriales (cartulaire de Saint-Victor).
  • Le commerce s’effectue surtout par échange local ou troc sur les marchés de La Cadière et du Castellet.
  • La prospérité du vin bandolais s’établit vraiment avec la fondation du port moderne de Bandol par Richelieu (1659), conçu pour ravitailler la flotte de Toulon. Le “vin de Bandol” gagne alors sa première notoriété internationale.

Dès 1666, le port de Bandol expédie notamment des tonneaux à Gênes, en Espagne, aux Pays-Bas et jusqu’à la lointaine Amérique du Sud, selon le registre des douanes royales de Toulon (source : Archives Départementales du Var). Pourtant, c’est la qualité du Mourvèdre, cépage phare, qui assoit vraiment la renommée commerciale du terroir dès la fin du XVIIe siècle.

Le XVIII : quand Bandol rayonne sur les océans

Le début des Temps modernes coïncide avec une explosion du trafic. Bandol se dote de ceints de quais en pierre, d’entrepôts, de maisons de négoce. Le vin devient “l’or rouge” local.

  • En 1786, pas moins de 4000 hectolitres de vin quittent chaque année le port de Bandol, dont près de 60 % à destination de l’Angleterre ou de l’Empire Espagnol (Les Portes de Babylone).
  • Les maisons Gaillan, Marty et Pasquier expédient leurs vins jusqu’aux Antilles.
  • Le vin bandolais, réputé “fort et voyageur“, supporte bien les traversées transatlantiques.
  • Le commerce maritime tire parti de la “protection” des vaisseaux militaires stationnés à Toulon, limitant les actes de piraterie.

Marchands, capitaines, artisans tonneliers : toute la vie du Val d’Arenc s’organise alors autour de cette économie portuaire. Le chroniqueur Roux-Alphéran relate qu’au marché de Marseille, le “vin de Bandol” est vendu parfois 30 % plus cher que ceux de Hyères ou d’Aix.

Du déclin au renouveau : crises, résistances et résilience au XIX siècle

La fin du XIX siècle sonne le glas de la prospérité facile. D’abord à cause des nouveaux moyens de transport, puis à cause des maladies de la vigne.

  • 1855 : ouverture de la voie ferrée Marseille-Toulon : les vins de Bandol perdent leur avantage maritime, concurrencés par les productions du Languedoc et d’Algérie.
  • Phylloxéra (1865-1880) : le vignoble du Val d’Arenc est ravagé : en 1886, il reste moins de 200 hectares, contre plus de 1600 ha au début du siècle (source : Chambre d’Agriculture du Var).
  • Appauvrissement local, émigration partielle : beaucoup d’habitants revendent les terres en friche, d’autres passent à l’olivier ou à l’amandier.
  • Dès 1890, la résistance s’organise. Les vignerons du Val d’Arenc réintroduisent le Mourvèdre sur porte-greffe américain, investissent dans des chais de vinification plus modernes.

On trouve dans les registres douaniers de la Société des Vins de Bandol (1898) les premiers signes d’un rebond : les exportations reprennent, à destination de Marseille, Gênes et Alger.

Le XX siècle : du négoce traditionnel à l’appellation d’origine contrôlée

Le siècle du progrès sonne la revanche du terroir, malgré les recompositions du marché mondial.

  • 1941 : reconnaissance du label “Bandol AOC”, parmi les premières en France, après enquête de l’INAO. Moins de 250 hectares répondent alors au cahier des charges (source : Conseil Interprofessionnel des Vins de Bandol).
  • 1961 : création de la “Route du Vin de Bandol” : le commerce retrouve une dimension touristique, le négoce traditionnel cède progressivement la place à la vente directe et à l’œnotourisme.
  • À partir des années 1990, les exportations s’accélèrent avec l’avènement de cavistes indépendants, d’importateurs, de restaurants étoilés.

Quelques chiffres, souvent ignorés :

  • En 1955, seuls 10 % des vins de Bandol partaient à l’étranger, contre environ 35 % aujourd’hui (donnée FranceAgriMer).
  • La vente en direct dans les domaines représente désormais plus de 45 % du chiffre d’affaires de certains producteurs du Val d’Arenc (source : Vinbyvinc).

Le visage contemporain du commerce du vin bandolais

Aujourd’hui, le commerce du vin dans le Val d’Arenc et à Bandol n’a jamais été aussi pluriel : il s’appuie sur la tradition tout en adoptant les canaux modernes de distribution.

  • Marché local : Les marchés de Bandol, de Saint-Cyr, de Sanary restent de puissants relais du vin bandolais. Nombreux sont les restaurants et cavistes de la Côte d’Azur qui y font leurs emplettes.
  • Export : Les marchés anglo-saxons, belges et suisses apprécient la typicité du Mourvèdre : la part à l’export atteint désormais en moyenne 1/3 des volumes produits par les domaines majeurs (source : Business France).
  • Œnotourisme : Plus de 280 000 visiteurs par an sur la “Route des Vins de Bandol”, (édition 2023, source : offices du tourisme PACA).
  • Vente en ligne : Apparition, depuis les années 2010, de sites spécialisés, goûteurs d’exception et expédition à l’international (États-Unis, Japon, Scandinavie).

On note également le rôle clé de certains festivals, concours et foires locales, véritables carrefours de prescriptions commerciales. Le vin de Bandol navigue ainsi entre fidélité au terroir et conquête de nouveaux horizons, du bistrot azuréen aux tables étoilées du monde entier.

L’épopée continue : héritage et défis d’un terroir marchand

De l’amphore engloutie aux caisses expédiées par avion-cargo, le commerce du vin a littéralement tatoué l’identité de Bandol et du Val d’Arenc. Il a accompagné la transformation du paysage, le destin des habitants, et jusqu’à la mémoire des familles vigneronnes.

Aujourd’hui, le vignoble doit conjuguer excellence, authenticité et adaptation :

  • Dynamique de circuits courts et d’export premium
  • Protection du patrimoine (le Mourvèdre, la pierre sèche, les vieux chais remake du XIXe)
  • Répondre aux défis climatiques et de la concurrence mondiale, tout en cultivant la valeur de la rencontre – entre vigneron, négociant, et dégustateur.

Le commerce, loin d’être une simple histoire d’opérations comptables, reste ici une aventure de passion et d’hospitalité. Dans chaque flacon bandolais, il y a encore – subtile – l’empreinte saline des grandes traversées méditerranéennes.

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