Des siècles de présence humaine au service de la vigne

Le Val d’Arenc, situé au nord de Bandol, évoque instantanément une succession de collines ourlées de vignes, de murets de pierre sèche, et de restanques accrochées à flanc de coteaux. Mais ce décor, emblématique du Val d’Arenc, n’est pas l’œuvre de la nature seule. Depuis l’Antiquité, ce sont les générations de vigneronnes et vignerons – souvent les mêmes familles, de père en fils (et fille) – qui l’ont peu à peu façonné.

Dès le Moyen-Âge, la culture de la vigne s’est structurée autour de dynasties locales, comme en atteste la présence de patronymes inchangés sur les cadastres du XVIII siècle. Les familles Bunan, Lafran-Veyrolles, ou encore les Pibarnon, pour ne citer qu’elles, ont ancré leur nom et leur savoir-faire dans la pierre, les parcelles et les traditions.

La construction du paysage viticole : pierres, sueur et transmission

Au cœur du Val d’Arenc, la vigne ne s’est jamais contentée de s’étendre sur un terrain donné. Chaque cep doit sa place à une conquête du relief. Le travail patient et opiniâtre de terrasses – les fameuses « restanques » – a permis de limiter l’érosion sur ces sols escarpés et caillouteux, tout en créant un microclimat adapté à la culture du Mourvèdre, cépage roi de Bandol (Ministère de la Culture, pierresèches.fr).

  • Les murets de pierre sèche : chaque génération y a apporté sa pierre. Selon les sources locales, il y a désormais plus de 500 km de murs de soutènement dans l’aire de Bandol — une vraie architecture rurale, classée Patrimoine Mondial de l’UNESCO depuis 2018.
  • Les cabanons de vigne : bien plus que de simples abris, ces bâtisses témoignent de la vie des ouvriers agricoles et des familles, qui passaient parfois la belle saison « aux champs ». Ces cabanons ont parfois traversé trois ou quatre générations, témoins muets d’événements familiaux et de changements dans les pratiques agricoles.

Aujourd’hui, les paysages du Val d’Arenc racontent ainsi l’histoire d’hommes et de femmes qui, siècle après siècle, ont transmis un sens aigu de l’adaptation et de l’entraide, tout en inscrivant leurs décisions familiales dans la terre : choix du cépage, orientation des terrasses, gestion de l’eau, vendange à la main jusqu’à une époque récente.

Des crises, des choix : la force des dynasties face à l’histoire

Comme beaucoup de vignobles méditerranéens, le Val d’Arenc n’a pas été épargné par les secousses de l’histoire. La crise du phylloxéra, au XIX siècle, a profondément bouleversé le paysage. Pourtant, c’est aussi la solidarité des familles vigneronnes qui a permis la survie et la reconstruction rapide du vignoble.

  • Phylloxéra (années 1870) : perte de plus de 70 % du vignoble régional en dix ans (bandol.fr). Les familles, propriétaires ou fermiers, ont dû arracher, greffer, replanter, en s’appuyant sur des réseaux de voisinage et de parenté pour faire circuler l’information technique.
  • La Première Guerre mondiale voit nombre d’exploitations confiées aux femmes, ce qui marque encore aujourd’hui l’importance de la mémoire féminine dans la transmission des gestes vignerons.
  • L’entre-deux-guerres : beaucoup de petites propriétés disparaissent, absorbées par les domaines de familles mieux établies. Ce phénomène de concentration foncière a contribué à la taille moyenne plutôt élevée des parcelles en AOC Bandol.

Malgré ces défis, certaines familles ont su préserver une identité propre, souvent en misant sur la qualité et la réputation collective. Dès 1941, lorsqu’est créée l’appellation d’origine contrôlée Bandol, ce sont justement sept familles du Val d’Arenc qui signent la charte fondatrice (INAO).

L’empreinte des familles sur les cépages et les styles

Si le Mourvèdre règne aujourd’hui sur Bandol (planté à plus de 50 % sur le Val d’Arenc), ce choix n’a rien d’anodin. Ce sont les familles locales qui, entre 1900 et 1960, ont fait le choix coûteux mais visionnaire de préserver ce cépage méditerranéen réputé difficile, car long à maturité et peu productif.

  • Héritage et sélection massale : bien avant la naissance des clones modernes, chaque famille réutilise les pieds les plus qualitatifs de son domaine pour greffer et replanter, assurant ainsi une grande diversité intra-parcellaire. Cette méthode reste encore viva dans le Val d’Arenc et contribue à la complexité aromatique des vins actuels.
  • Mosaïque d'encépagements : dans certaines familles, un « Jura local » subsiste : on retrouve encore une poignée de parcelles confidentielles plantées de Clairette, Bourboulenc, ou Ugni blanc. Une manière de perpétuer la tradition « familiale » des vins de consommation courante.

Aujourd’hui, il n’est pas rare que les choix de vinification d’un domaine, ou même l’identité d’un vin, portent la marque de la lignée familiale : cuves centenaires, levain « maison », assemblages séculaires.

L’art de vivre et l’identité du Val d’Arenc : bien plus qu’un paysage viticole

L’histoire des familles vigneronnes du Val d’Arenc ne s’exprime pas seulement dans le verre ou sur les parcelles, mais aussi dans une culture du partage, de la fête et du rapport à la terre typiquement méditerranéens. Cette transmission se lit dans les usages, les fêtes des vendanges, mais aussi dans le rapport au « pays » : la garrigue que l’on protège, les oliviers que l’on conserve, les recettes que l’on transmet de génération en génération.

Quelques chiffres qui disent l’attachement au territoire:

  • Plus de 92 % des exploitations du Val d’Arenc sont familiales (source : Chambre d’Agriculture du Var, 2022).
  • 1 exploitation sur 3 est en bio ou en conversion, souvent à l’initiative de jeunes générations de la même famille (Agence Bio).

Ce modèle familial, parfois questionné, est aussi ce qui explique la résilience du vignoble face aux défis contemporains : adaptation au réchauffement climatique, gestion de la ressource en eau, lutte contre l’exode rural.

À la croisée des générations : transmission et défis du XXI siècle

La notion de transmission reste aujourd’hui au cœur des enjeux. Entre respect du legs familial et besoin d’innovation, les nouvelles générations réinventent le métier : conversion à l’agroécologie, création d’œnotourisme en circuit court, ouverture à l’international… Pourtant, le fil conducteur demeure celui de la famille, parfois élargie aux « cousins du village » ou « amis de quinze ans » qui s’associent au projet.

Le Val d’Arenc se distingue ainsi par :

  1. Des collaborations intergénérationnelles dans 64 % des domaines (Chambre d’Agriculture du Var, 2022).
  2. Un maintien de la propriété familiale dans plus de 80 % des cas, contrairement à la tendance à la concentration ou à l’achat par des groupes extérieurs, observée dans certains autres grands vignobles français.
  3. Un dynamisme dans la formation : plus de 40 % des jeunes vignerons du secteur sont diplômés d’œnologie ou d’agronomie, traduisant aussi la volonté de conjuguer héritage et modernité.

Quand la mémoire familiale devient richesse collective

Le Val d’Arenc, terre de familles vigneronnes, offre ainsi l’exemple rare d’un paysage patiemment modelé, enrichi, et humanisé par les transmissions successives. Chaque muret, chaque parcelle, chaque cuverie a ses histoires intimes – souvent tues, parfois murmurées lors des longues soirées de vendanges ou à l’heure du « vin de l’amitié ». Cette mémoire vivante n’appartient pas seulement à quelques noms ; elle se lit dans le paysage entier, dans la saveur des vins, et dans le regard partagé entre un grand-parent et son petit-fils ou petite-fille lors des vendanges.

Sillonner le Val d’Arenc, c’est parcourir une chronique familiale écrite dans la terre – une invitation à s’inscrire, soi aussi, dans l’histoire d’un terroir en perpétuelle création.

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