Le paysage viticole de Bandol : un patrimoine façonné, un équilibre fragile

Le vignoble de Bandol couvre aujourd’hui à peine 1 500 hectares, répartis sur huit communes du Var (source: CIVP), une surface modeste à l’échelle de la Provence, mais d’une rare densité paysagère. Ici, le relief accidenté impose la culture en restanques – ces terrasses de pierres sèches dont les murs, patinés par le temps, retiennent non seulement la terre mais aussi les mémoires. L’alternance graphique des vignes, des cyprès, des oliviers et des pinèdes compose un tableau d’équilibre où rien n’est laissé au hasard.

Ce patrimoine vivant, produit d’une histoire commencée à l’Antiquité par les Phocéens, a été plusieurs fois remodelé : réorganisation des exploitations au XIX siècle, transformation de la viticulture après le phylloxéra, puis lutte pour la reconnaissance d’une appellation en 1941. Aujourd’hui, ce paysage classé AOC est typique des « paysages culturels » au sens de l’UNESCO : zone où la nature et l’activité humaine ont créé, en dialogue, un héritage unique.

Pressions urbaines et foncières : la menace d’un mitage silencieux

Le premier défi majeur pour Bandol se joue dans la discrétion des géomètres. Le mitage — cette progression diffuse de l’habitat individuel en périphérie du vignoble — grignote insensiblement les terres agricoles : entre 1990 et 2020, la région Provence-Alpes-Côte d’Azur a perdu près de 50 000 hectares de surfaces agricoles au profit de la construction (source : DREAL PACA, 2021). Sur les zones littorales prisées comme Bandol, la pression foncière atteint des sommets : le prix du foncier agricole dépasse parfois 100 000 € l’hectare contre moins de 10 000 € dans d’autres secteurs ruraux (source SAFER).

Cette flambée s’explique par l’attrait touristique de la côte, mais aussi par l’essor du marché de résidences secondaires. Or, chaque parcelle perdue est un maillon qui se rompt : fermeture de chemins, effacement des murs de restanques, diminution des continuités écologiques. L’implication des collectivités, comme la récente mobilisation du Conservatoire du littoral autour de la baie de Bandol, vise à contenir ce mitage mais demeure un travail de longue haleine.

Adaptation au changement climatique : maintenir la mosaïque paysagère

La Méditerranée fait partie des régions européennes les plus vulnérables face au réchauffement climatique (rapport GIEC, 2022). Les conséquences sont déjà visibles : les vendanges de Bandol commencent en avance de presque trois semaines par rapport aux années 1970 (source : INRAE). À ce stress thermique s’ajoute la raréfaction des épisodes pluvieux, puis leur violence, qui met à mal les sols. Les pentes abruptes, synonymes de beauté, deviennent parfois le théâtre d’orages ravageurs : en octobre 2020, certains secteurs du vignoble ont reçu 200 mm de pluie en 24 h.

Dans cette lutte, le maintien des restanques joue un rôle de protection essentiel : elles limitent l’érosion, facilitent la rétention d’eau et ralentissent le ruissellement. Néanmoins, leur restauration requiert savoir-faire, temps et moyens. Beaucoup de structures agricoles familiales peinent à entretenir ce patrimoine : restaurer un mur de pierre sèche peut coûter plus de 350 € le mètre linéaire (source : Association Pierres Sèches Bandol). La pérennité de cette mosaïque paysagère dépend donc aussi de l’engagement des pouvoirs publics, d’aides européennes et de la transmission des techniques ancestrales.

Préserver la biodiversité : refuge et richesse sous la vigne

Derrière sa dimension esthétique, le paysage viticole est aussi un précieux réservoir de vie. Le Bandolais traditionnel conçoit la vigne comme une figure insérée dans un écosystème complexe : haies, arbres isolés, murets, mares temporaires sont des refuges pour une faune et une flore qui, ailleurs, pâtissent de l’urbanisation ou de l’intensification agricole.

  • Près de 120 espèces d’oiseaux recensées dans le secteur de Bandol (enquête LPO, 2018), dont l’élégant rollier d’Europe et le discret engoulevent, tous deux menacés à l’échelle régionale.
  • De nombreuses chauves-souris agraires trouvent abri dans les murs de restanques, contribuant à la régulation naturelle des insectes nuisibles.
  • La présence du lézard ocellé, symbole de la biodiversité méditerranéenne, illustre l’intérêt écologique d’un entretien raisonné des sols et de la maçonnerie sèche.

Cependant, certaines pratiques agricoles menacent cet équilibre. L’utilisation excessive d’herbicides ou de produits phytosanitaires, même en baisse, porte encore atteinte aux pollinisateurs essentiels. Beaucoup de domaines basculent désormais vers le bio ou la viticulture dite « haute valeur environnementale » (HVE) : à Bandol, plus de 35 % du vignoble était certifié bio ou en conversion en 2021 (source : CIVP), une proportion supérieure à la moyenne nationale.

Préserver la biodiversité passe ainsi par :

  • la valorisation de l’agropastoralisme (présence ponctuelle de moutons dans les rangs, apportant fertilisation naturelle),
  • la replantation d’espèces locales (amandiers, figuiers),
  • l’entretien des friches périphériques riches en orchidées sauvages ou en cistes.

Transmettre un patrimoine et un art de vivre : l’enseignement des paysages

Au-delà de leur valeur nourricière ou environnementale, les paysages de Bandol sont aussi des supports de mémoire collective et d’identité culturelle. Chaque rang de vigne, chaque sentier, chaque capitelle, est dépositaire d’usages, de récits, d’un vocabulaire — la fameuse « draille » qui serpente entre deux terroirs, le nom secret d’un vallon, l’alignement d’un cyprès en guise de signal.

Cette transmission se fait :

  • par les circuits touristiques élaborés par les domaines et les offices de tourisme éducatifs (sentiers d’interprétation, balades « paysages et vins »),
  • par la mise en valeur architecturale (restauration de bergeries, de cabanons de vigne),
  • par la mobilisation des jeunes générations, via des chantiers participatifs ou des journées du patrimoine.

Des associations, telles que la Fédération des Associations de Sauvegarde du Patrimoine Rural Bâti, militent aussi pour le classement de certains secteurs emblématiques du Val d’Arenc, comme la restanque de la Nartette, en « paysage remarquable ». Cette reconnaissance faciliterait l’accès à des financements et la lutte contre les dégradations.

Valoriser la singularité du paysage viticole face à la mondialisation

À l’heure où le consommateur s’interroge sur la provenance de son vin et sur la réalité du « terroir », la défense des paysages prend une dimension stratégique pour le vignoble. Bandol ne saurait rivaliser par l’étendue des surfaces ou la puissance des groupes commerciaux ; sa force réside dans la singularité : la couleur de ses cailloux calcaires, la vibration de la mer toute proche, la verticalité de ses restanques, l’énergie salée de ses vents.

Cette identité forte nourrit aussi la valeur économique du produit : la mention « Bandol » renvoie aujourd’hui dans l’inconscient collectif à une promesse de paysage, d’authenticité, d’union entre climat et cépages (le Mourvèdre, en particulier, trouve ici son expression la plus pure).

Il en découle une série d’actions concrètes :

  • Promotion de l’œnotourisme raisonné, respectueux du cadre (labels Vignobles & Découvertes, chartes paysagères),
  • Mise en place de clauses spécifiques dans les cahiers des charges de l’appellation pour limiter l’arrachage d’arbres ou la modification profonde du relief,
  • Montée en compétence des viticulteurs sur les enjeux environnementaux et paysagers (formations, échanges de savoir-faire entre domaines).

Perspectives : paysans, citoyens, visiteurs, tous acteurs de ce vivant

La préservation des paysages viticoles de Bandol n’est ni un luxe ni une coquetterie provençale. Elle est la condition d’une viticulture viable, d’un territoire hospitalier et d’une culture qui se réinvente sans se travestir. Les initiatives foisonnent : de la restauration participative de murets de pierre à l’expérimentation de cépages anciens plus résistants à la sécheresse, du maintien de l’agriculture familiale au développement de projets collectifs d’irrigation douce.

Sous la lumière particulière du Val d’Arenc, il s’agit de garder vive la promesse initiale des paysages : celle d’un dialogue harmonieux entre l’homme, la vigne et la garrigue, afin que Bandol demeure demain encore un écrin de diversité, d’équilibre et d’inspiration.

Sources consultées :

  • CIVP (Conseil Interprofessionnel des Vins de Provence)
  • DREAL PACA, Observatoire Régional de l’Occupation du Sol
  • INRAE : Institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement
  • SAFER – Sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural
  • LPO (Ligue pour la Protection des Oiseaux)
  • Association Pierres Sèches Bandol
  • Fédération des Associations de Sauvegarde du Patrimoine Rural Bâti
  • Rapports du GIEC
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