Sous les pas de la vigne : comprendre les sols du Bandol et du Val d’Arenc

Sur les pentes baignées de soleil de Bandol, la vigne respire un air chargé d’Histoire et de sel. Loin de la monoculture géologique, le vignoble de Bandol doit sa renommée à la complexité de ses sols, façonnés par l’érosion, les mouvements tectoniques et la proximité de la Méditerranée. Comprendre la mosaïque des sols du Bandol et du Val d’Arenc, c’est lire dans les strates du temps pour mieux saisir la personnalité unique de ses vins.

Le vignoble de Bandol s’étend sur un amphithéâtre naturel de près de 1 600 hectares, classé en AOC depuis 1941 (CIVP Bandol). Ce paysage, entre restanques et collines, épouse une géologie tumultueuse. On y rencontre principalement deux grandes familles de sols, avec une richesse de nuances qui donne au Mourvèdre, roi de Bandol, sa renommée.

• Les sols calcaires : majoritaires, hérités du Jurassique et du Crétacé, blanchissent la terre. Les conglomérats calcaires, parfois durs comme la roche mère, côtoient des bancs de marnes blanches ou bleutées.
• Les marnes et argiles : ces substrats limoneux, souvent mêlés de sable, assurent la rétention d’eau et modulent l’acidité. Ici, la vigne plonge profond, puisant dans d’anciennes terres marines foisonnant de fossiles.

La diversité réside aussi dans les micro-terroirs nés de ruptures tectoniques — les “failles” et “sauts” du sol de Bandol, autant de fractures qui redessinent sans cesse la carte sous nos pieds.

Il y a entre 100 et 60 millions d'années, la zone actuelle de Bandol baignait sous une mer chaude et peu profonde. Sédiments calcaires, restes d'organismes marins, coquillages fossilisés... Ces couches successives forment aujourd'hui la base du terroir. Les mouvements alpins et pyrénéens, il y a environ 40 à 20 millions d'années, ont soulevé et brisé ces strates, dessinant le relief.

On retrouve aujourd’hui sur les terroirs du Val d’Arenc des pierres plates, surnommées ici “bannes” ou “calades”, vestiges de l’action des eaux et du vent à travers les âges. Cette origine marine, qui confère aux sols leur richesse en calcaire actif, se retrouve dans la minéralité si spécifique des vins de Bandol.

Les calcaires compacts et argilo-calcaires

• Caractéristiques : Pierres blanches éclatantes, durs sous la main, parfois fissurés par l’érosion. Mélange de roche mère et d’argiles légères, apportant structure et capacité de rétention d’eau.
• Répartition: Très présents autour de la Cadière-d’Azur, du Castellet et dans le secteur du Val d’Arenc. Ici, la topographie en terrasses, appelée restanques, facilite la pénétration des racines et limite le ruissellement.
• Impact sur le vin: Ces sols favorisent un enracinement profond, donnant des raisins à la maturité lente et harmonieuse. Les vins y gagnent en complexité aromatique, en fraîcheur et en capacité de vieillissement.

Marnes bleues et grises

• Caractéristiques: Sols tendres mais très riches en minéraux. Couleur cendrée à bleutée, parfois tachetée de petits cailloux blancs. Grand pouvoir de rétention d’eau, ce qui protège la vigne pendant les sécheresses estivales.
• Répartition: Présentes dans les fonds de vallon et sur les expositions plus fraîches, notamment autour de Sainte-Anne d’Évenos et du Val d’Arenc inférieur.
• Impact sur le vin: Les vins issus de ces sols sont réputés pour leur texture veloutée, leur finesse tannique et leur capacité à révéler toute la palette du Mourvèdre, cépage phare du Bandol.

Sables, galets et sols caillouteux

• Caractéristiques: Drainage rapide, réchauffement facile ; ces sols pauvres obligent la vigne à puiser l’eau en profondeur. Souvent mêlés de galets roulés ou de grès rosés d’origines diverses.
• Répartition: Entre Bandol, Sanary et la mer, où la végétation de garrigue s’entremêle aux rangs de vignes. Secteurs plus arides mais parfaits pour équilibrer la vigueur du Mourvèdre, particulièrement sensible à la soif et à la chaleur.
• Impact sur le vin: Vins très concentrés, expressifs, avec des arômes de fruits noirs, de violette, et une belle trame saline qui rappelle l’empreinte maritime du terroir.

Le sol ne se conçoit jamais sans l’air qui le caresse. À Bandol, le climat méditerranéen offre plus de 2 800 heures d’ensoleillement annuel et moins de 650 mm de pluies, concentrées sur l’automne et le début du printemps (Climate Data). Les vignes poussent souvent en forte pente, orientées sud ou sud-est, captant un maximum de lumière.

• La mer tempère les excès de chaleur et offre des nuits fraîches même en été, favorisant la maturité lente et la préservation de l’acidité.
• La proximité de la garrigue (thym, romarin, lentisque) complète le tableau organoleptique, apportant des notes épicées aux vins.

L’exposition des restanques garantit une maturité échelonnée des baies ; certaines parcelles peuvent présenter jusqu’à deux semaines de différence à la vendange, selon leur emplacement et la nature du sous-sol. La diversité climatique intra-communale augmente encore la variabilité des sols et le style des vins.

Depuis des générations, les familles vigneronnes du Val d’Arenc modèlent le paysage par la construction de restanques (murets de pierres sèches). Ces terrasses permettent :

• De lutter contre l’érosion dans ce relief escarpé ;
• D’optimiser l’exposition des rangs de vignes ;
• De favoriser la circulation de l’air, clé contre les maladies liées à l’humidité.

La restauration de ces murets de pierres, autrefois abandonnés, connaît un renouveau. Beaucoup sont classés au patrimoine local et font l’objet d’ateliers animés par des associations du terroir.

Le choix des cépages épouse la nature du sol :

• Mourvèdre : préfère les cailloutis et argilo-calcaires, s’épanouissant dans les sols profonds pour exprimer sa tannicité et ses arômes viandés ou d’olive noire.
• Grenache et Cinsault : s’accommodent mieux des terres sableuses en bordure, donnant des rosés fins et aériens.

Bandol est un des rares vignobles de France où l’on trouve encore des ceps francs de pied, notamment dans certaines parcelles sableuses qui ont résisté au phylloxéra, cette maladie ayant du mal à proliférer dans les terres non argileuses (La Vigne Mag).

• 90% du vignoble de Bandol est planté sur des terres calcaires ou argilo-calcaires, un cas exceptionnel en Provence (CIVP Bandol).
• Le point culminant du vignoble, au Castellet, atteint 360 mètres, offrant des sols plus froids, adaptés aux vins rouges de garde.
• Plus de 40 types de sols répertoriés par l’INRA sur l’aire d’appellation, allant du simple sable à la marne fossilifère, reflet de la diversité géologique locale (INRA).
• Une pierre calcaire typique du Val d’Arenc, la “roche à tétines”, est truffée de petits nodules de silex, témoins du passage des eaux douces et de la sédimentation ancienne.

L’étude fine des sols est aujourd'hui au cœur des pratiques : analyses pédologiques, cartographie par drones, suivi hydrique précis. De nombreux domaines s’engagent dans l’agroécologie (en conversion ou labellisés bio), favorisant la vie microbienne des sols, la couverture végétale et la biodiversité.

L’observation minutieuse des sols – densité de cailloux, vie des vers de terre, odeur de la terre humide après la pluie – guide les choix de conduite de la vigne. Car un grand vin de Bandol ne peut naître qu’à la rencontre d’un sol vivant et d’une vigne écoutée.

• 38% des exploitations du Bandol sont engagées dans une certification environnementale (Bio, HVE) en 2024 (Agence Bio).
• Des expérimentations de micro-parcelles de Grenache sur marne et Mourvèdre sur sables sont conduites depuis plusieurs années pour anticiper le changement climatique.

Le voyage au cœur des sols du vignoble de Bandol et du Val d’Arenc révèle à la fois leur complexité et leur rôle fondamental : offrir une colonne vertébrale aux vins, une signature minérale, et une beauté parfois austère, toujours expressive. Ce dialogue entre géologie, climat et savoir-faire continue d’inspirer les vignerons et les curieux de passage : chaque verre raconte un peu de l’histoire écrite sous nos pieds, à savourer les yeux grands ouverts sur la lumière méditerranéenne.